Depuis plusieurs mois, la vie de la Guérisseuse a complètement changé. Mais surtout ses états d'âme. En effet, au début, elle n'était qu'une louve complètement fan de sa meute, aimant essentiellement les membres de sa famille, haïssant tous les autres loups qui vivaient en dehors des Tsuki, et voulant les anéantir, tous sans exception. Mais aujourd'hui, c'était différent. Aujourd'hui, elle s'était rendue compte qu'elle n'était pas l'unique louve blanche de cette terre, qu'elle n'était pas la seule guérisseuse vivant sur ce lieu. En effet, elle avait pu rencontrer plusieurs loups qui ont réussi à ébrécher toutes les certitudes qu'elle a pu avoir. Il y avait eu ce Kaze, ce loup ignorant qu'elle avait croisé mais qui ne semblait pas agressif et surtout qui ne recherchait pas la bagarre. Puis il y avait eu Shime et Suzuki, ces deux louves qui l'avaient attaqué. Oh elle ne dirait pas gratuitement, car elle avait compris que tout était de sa faute. Et enfin, il y avait eu Mitsuko et Cekan : la soigneuse avait été adorable avec elle. Neutre, mais elle lui avait fait comprendre que des soins étaient nécessaires. Elle n'aurait jamais imaginé que des loups étrangers à sa meute pourraient l'aider .. Et bizarrement, elle désirait pouvoir lui dire merci.

C'est sans doute pour cette raison que la Blanche était sortie de sa tanière, ce soir-là. La Lune était montée dans le ciel, remplaçant l'astre solaire et étant accompagnée de ses amies les étoiles. Le ciel était magnifique ce soir-là, aucun nuage n'était présent, les rayons lunaires retombaient sur le sol avec délicatesse, les animaux nocturnes sortaient au fur et à mesure et les fleurs lunaires fleurissaient petit à petit. Un regard autour d'elle : la louve put constater que les membres de sa meute étaient partis se coucher, s'endormant tranquillement. Alors, avec un fin sourire, elle se mit à marcher calmement. Et douloureusement. En effet, la morsure au niveau de sa nuque n'était entièrement guérie. Mais c'était logique : la cicatrice ne pouvait se refermer si facilement, elle était placée à un mauvais endroit. Dès qu'elle bougeait la tête, elle se rouvrait, dès qu'elle tentait de ne pas bouger elle la démangeait et dès qu'elle voulait prendre du repos, malheureusement son rôle de guérisseuse se faisait trop présent. La brûlure, quant à elle, était guérie, certes, mais elle restait tout de même visible et donc, la honte remontait douloureusement.

Cela fait maintenant plusieurs minutes que la louve a quitté les terres de sa meute. Elle avait un objectif en tête. Un seul et unique, elle comptait bien le réaliser. Dans un sens, car elle se devait de la remercier, elle se devait de la revoir. Grâce à elle, et à son soldat, elle avait pu partir de leurs terres sans encombres. Mais aujourd'hui, elle n'irait pas chez elle : pour ne pas provoquer une pseudo-guerre, mais surtout pour ne pas remettre en cause ce qu'elles s'étaient dites ce jour-là. La truffe au sol, Lavande continuait de marcher, ignorant complètement la douleur présente au-dessus de sa nuque. La louve tricolore serait sans doute au courant de sa venue pour chasser, et de l'attaque de ses deux louves. Si elle allait bien l'accueillir ? Elle ne saurait le dire. Mais elle accepterait tout ce qu'elle pouvait dire. La lune la suivait comme son ombre, les odeurs se mêlaient aux autres, le vent se faisait délicat et ses pupilles s'adaptaient progressivement à l'obscurité. On a toujours dit que les loups avaient du mal à voir dans la Nuit, et aujourd'hui c'était exactement le cas.

Soudain, un croassement se fit entendre et elle releva la tête immédiatement. Mince ! Elle n'avait même pas remarqué qu'elle venait de poser les pattes dans la Mangrove. Elle ne venait que rarement ici, mais elle appréciait réellement cet endroit. Il était humide, chaud, incommodant, mais pour elle, il demeurait tout de même un lieu paisible, et silencieux, quand on faisait abstraction des batraciens, évidemment. La louve fit exprès de laisser des marques olfactives sur tous les arbustes et arbres qu'elle pouvait croiser, espérant que la louve tricolore la repérerait. Finalement, elle vint délicatement s'asseoir près d'un arbre, observant les étoiles et souhaitant que son objectif se réaliserait.

En réalité, malgré qu'elle n'ait que six ans et trois mois, la louve avait le sentiment qu'elle n'arriverait jamais à vivre au-delà de huit ans. Elle avait le sentiment que la vieillesse était bien trop forte. Qu'elle allait l'emporter petit à petit, qu'elle allait l'anéantir insidieusement, qu'elle allait la faire souffrir progressivement. Mais pourquoi vivait-elle cela ? Pourquoi ressentait-elle une telle souffrance ? Pourquoi son corps avait-elle décidé de la trahir ainsi ? Elle ne comprendrait sans doute jamais. Pourtant elle avait tout fait. Elle avait absolument tout fait pour satisfaire le monde et l'univers. Elle avait soigné tous les membres de sa famille au détriment de sa propre vie, elle avait réglé les problèmes des autres en oubliant ses propres soucis, elle flirtait avec la Mort pour pouvoir sauver les autres. Méritait-elle vraiment tout cela ? Elle n'en savait absolument rien.

Le regard de la conseillère se posa sur le ciel étoilé et les questions commencèrent à infuser dans sa tête. Est-ce que si elle disparaissait, elle les rejoindrait ? Est-ce qu'en mourant, elle deviendrait comme Rakuen ? Non pas une déesse, mais simplement un esprit libre allant où bon lui semble ? Et si elle mourait, est-ce que les membres de sa famille la pleureraient-ils ? Est-ce qu'une sépulture serait faite ? Elle secoua la tête. Pourquoi se posait-elle autant de questions ? Lune avait raison. Elle n'était plus vraiment elle-même en ce moment. Elle était comme envahie d'une certaine nostalgie sans vraie raison apparente. Elle avait peur d'absolument tout, sans qu'elle ne sache vraiment pourquoi. Elle se sentait isolée, alors qu'elle était entourée. Elle devenait parano au fil du temps, elle avait mal partout et sa vue se floutait progressivement.

Un bruit se fit entendre et une odeur se fit sentir. Mitsuko était venue. Un fin sourire apparut sur ses babines. Bizarrement, elle était heureuse de revoir la Taiyou. Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, elle avait besoin de cela, elle avait besoin de la revoir pour s'excuser, pour la remercier, pour qu'elle soit sa rédemption tout simplement. La blanche avait l'impression d'être à la place d'une condamnée, comme si elle devait s'excuser auprès de tous ses proches avant de disparaître. Mais pourquoi ? Elle avait presque envie d'invoquer Rakuen pour lui demander une explication. Mais elle se ravisa. La Déesse avait sans doute autre chose à faire que s'occuper des états d'âme d'une pauvre louve mortelle. Alors, elle posa enfin ses yeux ambrés sur la louve assise à côté d'elle et lui adressa un sourire reconnaissant.

" Merci beaucoup d'être venue .. Et merci pour la dernière fois, vous n'étiez pas obligée. " Puis, elle osa. " Serait-ce possible que vous vous excusiez de ma part vis-à-vis de vos deux louves ? Je ne sais pas ce qui m'a pris de venir chasser sur vos terres, c'était inapproprié et irrespectueux de ma part .. "

Sincèrement, elle ne comprenait vraiment pas ce qui lui arrivait. Mais elle avait le sentiment qu'elle se devait être honnête envers cette louve. Finalement, elle reposa son regard sur l'horizon. Malgré que la tricolore l'avait soigné, elle pourrait sans doute remarquer que la blanche semblait avoir changé. Elle était plus mélancolique, et son corps avait pris un coup de vieux. De plus, sa morsure à la nuque était visible, malgré qu'elle soit soignée.

En réalité, cela fait maintenant quelques temps que la louve s'isole des autres loups de sa meute. Pourquoi ? Pour quelle raison ? Elle ne saurait le dire. Cependant, malgré sa vieillesse et ses tendances à avoir mal partout, elle ne cessait de partir. Elle ne cessait de disparaître pour ne plus revenir, ou tout du moins pendant plusieurs heures. Elle ne cessait de courir les autres territoires, les autres meutes, les autres bois. Bien sûr, elle savait parfaitement qu'elle risquait sa vie. Malgré cela, savait-elle pourquoi elle risquait sa vie ? Savait-elle pourquoi elle joue sa vie à ce point-là ? Savait-elle pourquoi elle tente d'amadouer la mort ? Absolument pas. Tout ce qu'elle sait, c'est que chaque jour, son coeur ne cesse de battre plus fort quand elle s'éloigne un peu plus de son camp. Elle sait que ses pattes se font moins lourdes quand elle quitte sa tanière. Elle sait que ses épaules la lancent moins quand elle ne regarde pas en arrière. Regrette-t-elle son rôle ? La fardeau qu'elle a accepté d'avoir ? Elle ne saurait le dire.

Mais la louve n'est pas bête. Elle sait parfaitement que les loups Tsuki s'inquiétaient pour elle, qu'ils ne désiraient pas perdre leur guérisseuse. Mais ne désiraient-ils pas la perdre car il n'aurait plus personne pour les soigner ? Ou parce qu'ils l'aiment ? Avaient-ils peur pour elle car ils s'inquiétaient soigneusement pour elle ? Ou simplement parce que c'était par respect ? Elle ne le savait absolument pas. Mais elle ne savait surtout pas pourquoi elle se posait autant de questions. Avant, elle ne réagissait pas de cette manière. Avant elle n'avait pas peur de ce que pouvaient penser les autres. Elle ne tentait pas de sonder leurs avis. Est-ce la vieillesse qui faisait cela ? Ou seulement les épreuves qu'elle a pu vivre ? En réalité, son esprit ne cesse de la faire souffrir depuis de nombreux mois, autant que les muscles de son corps. Elle aimerait que ça cesse. Mais pour cela, il faudrait qu'elle arrête absolument tout. Que ce soit son rôle de guérisseuse, son rôle de conseillère mais aussi son instinct maternel pour absolument tous les loups de sa meute. Et ça, c'est hors de question. Elle ne l'accepterait pas.

Après avoir avoué tout cela à la lieutenante, après avoir accepté de s'excuser, elle soupira un instant. Tout ce qui venait d'arriver, elle ne l'avait encore jamais fait. Que ce soit avec ses proches, avec les loups solitaires, ou même n'importe qui elle ne s'était jamais excusée. Même auprès d'elle-même, elle ne l'avait jamais fait. Dans un sens, car elle avait toujours considéré que les excuses étaient des aveux de faiblesse. Car pour elle, s'excuser rendait vulnérable. Et ça, elle ne le désirait pas. Elle avait deux rôles importants, donc la faiblesse était interdite. Dans un autre sens, car s'excuser était se livrer. Et en se livrant, elle se dévoilait. Et en se dévoilant, elle faisait disparaître ce voile de mystère présent autour d'elle. Et ce mystère elle l'avait tellement développé qu'il était pas question qu'elle l'enlève de ci-tôt. C'était important pour cela.

Les premières paroles de la louve vinrent se percuter dans son cerveau comme un arbre se couchant sur le sol.  La lieutenante avait tout à fait raison : en effet, depuis le début, les Tsuki avaient toujours vécu seuls. Ils s'étaient établis sans se soucier de tous les soucis à côté, des éventuels adversaires qu'ils pourraient avoir. Bien sûr, la Conseillère n'était pas bête. Elle savait parfaitement que les loups connaissaient l'adversité, qu'ils étaient territoriaux et que les combats étaient faciles. Ne dit-on pas que deux meutes sur une même île ne peuvent survivre ? Ne dit-on pas que deux Alphas adversaires se battent très rapidement lorsqu'ils sont trop proches ? Ne dit-on pas que des louveteaux adversaires ne peuvent jouer ensemble ? Tout du moins, elle en était convaincue. Deux peuples différents ne peuvent impunément côte à côte ainsi. En tout cas, elle ne l'acceptait pas. Elle ne pourrait l'accepter aussi facilement, ce serait bafouer ses propres principes. Principes archaïques bien sûr.

A six ans et quatre mois, la louve blanche connaissait les principes naturels aussi. Elle savait parfaitement que l'adversité pouvait devenir une alliance quand un ennemi commun était présent. Elle se souvenait parfaitement de l'attaque des Esprits. Rakuen était une déesse que tous aimaient, que tous les loups vénéraient sans exception et une déesse qu'ils respectaient bien plus que leur propre code de meutes. Et en sachant que des Esprits étaient là pour lui faire du mal, toutes les meutes y étaient allées sans se poser de questions. Elles s'étaient battues contre un ennemi commun, elles s'étaient alliées sans même hésiter une seule seconde. Sur le coup, évidemment, Lavande eu beaucoup de mal à accepter et à se battre avec d'autres loups que les Tsuki. Mais quand elle vit la détresse de la Déesse, elle n'hésita plus et se jeta dans la bataille immédiatement. Et ensemble, malgré leur différence, ils gagnèrent. La victoire fut unanime.

Puis le brouillard fut évoqué, et là sans qu'elle ne puisse faire grand-chose, son poil se hérissa légèrement. C'est vrai que la présence de ce brouillard pendant quelques temps avait intrigué tout le monde. Quelques loups avaient eu peur et avait évité d'aller l'inspecter, d'autres loups avaient pris leur courage entre deux pattes et étaient allés explorer. Mais les plus intelligents étaient restés dans leur meute, évitant tout souci potentiel. Malheureusement, le brouillard disparu. Rakuen avait fait cela comme un cadeau, mais Lavande avait peur. Elle avait peur que ce brouillard amène que des soucis, que des dangers qu'ils ne pourraient contrôler et peut-être une meute. Elle espérait réellement qu'une meute ne vienne pas. Dans un premier temps car elle aurait beaucoup de mal à l'accepter. Et dans un second temps, car elle était réellement dans un trop mauvais état pour pouvoir aider les Tsuki à se soigner, ou même défendre leur territoire.

" Vitale ? Pourtant vous semblez pouvoir vous en sortir assez facilement, non ? Et puis comme j'ai pu le constater, vos louves ne semblent pas à plaindre, si ? " Elle voulait être gentille, malheureusement ces paroles pouvaient ressembler à une pique. " Le brouillard est terrifiant, je vous le concède. Et j'ai même peur qu'une autre meute arrive avec lui ... "

En réalité, depuis qu'elle était jeune, la louve a toujours été une franche combattante et surtout une femelle très territoriale. En effet, elle détestait toute intrusion sur son territoire. Bien sûr, elle n'était que Conseillère, ou guérisseuse à cette époque, mais elle refusait catégoriquement que d'autres loups viennent sur le camp. Elle les chassait très rapidement, et si ça ne suffisait pas elle utilisait son pouvoir. Mais heureusement pour ces loups, la sagesse avait fait sa petite place dans son esprit et maintenant elle se retenait plus facilement. A moins que ce ne soit son état actuel. Contrairement à Mitsuko, ou les Taiyou, les Tsuki n'avaient pas connu autant de péripéties. Mis à part peut-être l'inondation. Cet épisode fut très dur à vivre, mais grâce à leur cohésion, ils avaient réussi à s'en sortir. Ils avaient réussi à tout reconstruire sans encombre.

Et c'est sans doute pour cette raison qu'ils n'étaient plus à plaindre, qu'ils n'acceptaient que rarement les intrusions. Mais peut-être devraient-ils y réfléchir maintenant ? Peut-être devraient-ils se poser des questions sur ce qui les entourait ? Et la lieutenante évoqua les souvenirs, le passé.

" Je vois et je suis comme vous. Bien sûr, vous me semblez plus vieille, ou tout du moins me trompai-je, et j'ai aussi connu cette Nature. Mais ça ne change rien. Pour moi, ces terres ne sont pas assez grandes pour plusieurs meutes et les proies pas assez nombreuses. Après si Rakuen vous a accepté, c'est que vous avez quelque chose d'intéressant, non ? En tout cas, j'aimerai bien savoir les raisons de son choix. "

Malgré qu'elle ait grandi mentalement, qu'elle arrive plus facilement à être subtile dans ses paroles, elle avait encore du mal à changer ses idées, ainsi que se principes. Elle pouvait paraître mauvaise dans ses paroles, mais elle s'en fichait complètement. Elle préférait être franche que mentir ouvertement. Finalement, la louve reposa de nouveau son regard sur le ciel.

Et là, la vérité éclata sans qu'elle ne l'ait vu venir. En quelques secondes, toute sa vie changea sans qu'elle ne s'en rende compte. En quelques secondes, ses pensées furent envahies de tout ce qu'elle avait voulu éviter. Bien sûr, elle avait remarqué le changement de comportement de la louve et sur le coup elle ne compris pas réellement. En effet, elle avait dit des choses. Elle avait avoué ce qu'elle pensait, mais elle ne pensait pas à mal. En réalité, Lavande a toujours été une louve franche. Préférant dire ce qu'elle pensait sans même se sentir mal à l'aise, sans se reprocher les conséquences que cela pourrait avoir. Mais aujourd'hui, c'était différent. Aujourd'hui, elle avait l'impression d'avoir froissé quelqu'un sans même l'avoir voulu. Elle l'avait blessé alors qu'elle voulait simplement parler. Dans un premier temps, elle fut surprise par la réaction de la tricolore. Puis, ensuite elle fut presque apeurée par l'aura qui naissait autour d'elle. Et enfin, elle fut complètement paniquée par les paroles qu'elle prononça.

Première partie dévoilée. Et la première partie fut si frappante que la louve sentit son corps se tendre, son coeur tambouriner sa poitrine et ses yeux s'étrécir.  Elle n'aurait jamais pu imaginer que tout cela avait pu arriver. Comment des loups avaient-ils pu vivre de cette manière ? Comment une chaleur pouvait-elle terrasser de cette manière des cousins ? Bien sûr, Lavande savait parfaitement à quel point la Nature pouvait être dure face aux mammifères, à quel point elle pouvait leur rappeler son pouvoir. Mais elle n'imaginait pas que la Nature puisse l'être de cette façon. Quel était l'intérêt de faire souffrir des loups de cette manière ? Quel était le but de leur faire vivre tout cela ? Est-ce que les Tsuki auraient-ils survécu à tout cela ? Elle n'en était même pas convaincue. Bien sûr qu'ils étaient forts, bien sûr qu'ils étaient soudés, mais la Nature est plus forte qu'eux. Bien sûr que la Nature pouvait les anéantir si elle le désirait.

Puis vint la seconde partie, et son corps se raidis un peu plus. Elle eut même l'impression qu'il s'enterrait de lui-même dans le sol, que ses pattes s'engluaient et qu'elle ne pouvait plus s'enfuir. De toute façon, elle ne pouvait pas le faire puisque la louve tournait autour d'elle, comme une prédatrice. Etrangement, elle n'avait pas l'impression que la louve allait l'attaquer pour la détruire, mais que seuls les mots suffisaient pour la détruire. Elle voulait lui faire comprendre. Elle voulait que la Conseillère sache la vérité, et qu'elle comprenne. Enfin .. Voulait-elle vraiment qu'elle comprenne ou que la blanche sache simplement ? En tout cas, en l'écoutant, elle se rendait compte à quel point la Nature avait été dure avec les Taiyou. Elle avait voulu les anéantir. Non pas en quelques minutes, mais en plusieurs années. Et elle imaginait, elle visionnait déjà ce que la tricolore lui expliquait. Elle voyait ces louveteaux mourir, elles voyaient ces loups se nourrir des corps, elle voyait l'eau disparaître .. C'était absolument atroce. Elle ne voulait pas le vivre.

Et enfin, la dernière partie fut révélée, et ce fut sans doute la pire de toute. Elle ne se serait jamais attendu à cela. Elle n'aurait jamais pu imaginer tout cela. Comment un seul loup, un unique loup put décimer une meute entière ? Comment un loup, aussi sanguinaire fut-il, puisse anéantir toute une meute entière ? Elle ne comprenait pas. Malgré qu'elle déteste les Taiyou, malgré qu'elle ne veuille pas d'eux ici, elle ne pourrait jamais les tuer de cette manière. De un, car elle n'était pas assez forte et son pouvoir pas assez puissant. De deux, car malgré ses principes, elle n'était pas mauvaise à ce point. Sans qu'elle ne comprenne pourquoi, ni qu'elle s'en rende véritablement compte, ses yeux s'embuèrent. Elle les ferma immédiatement quand sa vue se flouta et secoua la tête. Il était hors de question qu'elle pleure devant cette louve. Car ce n'était pas le but, et aussi car ce serait mal vu.

Et là, la menace sourde tomba. Sans qu'elle ne s'en rende compte, des lavandes apparurent sous ses pattes et se déplacèrent autour d'elle. Elle ne contrôlait pas son pouvoir, plus, car elle ne contrôlait plus ses émotions. Elle était terrorisée. Terrorisée à l'idée qu'un loup fou et furieux vienne décimer les siens. Terrorisée à l'idée qu'une meute entière puisse disparaître à cause d'un unique loup. Finalement, ses yeux d'ambre se posèrent sur la tricolore.

" Je .. Je ne m'attendais pas à cela. Je tiens à m'excuser de mes paroles, elles n'étaient pas là pour vous blesser, c'était uniquement des pensées. Immatures et sottes, je le conçois. " Elle baissa la tête. " Je tiens à vous remercier de m'avoir raconté cela, et surtout de cet avertissement. " Elle finit par se rasseoir et voulu calmer son pouvoir. Malheureusement, sans qu'elle ne la voit venir, elle se mit à respirer trop vite et brutalement, et son pouvoir devint un peu trop fort. " Je .. Qu'est-ce qui m'arrive ? " Ca ne lui était jamais arrivé.

Et elle était là, complètement submergée par ses émotions. Cela faisait bien longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Pire, ça ne lui était jamais arrivé, en réalité. En effet, depuis qu'elle est jeune, elle a toujours fait en sorte de bloquer ses émotions, de les contrôler et de ne jamais les faire sortir. Dans un premier temps car les émotions nous rendent faible, elles nous anéantissent petit à petit, elles nous minent sans prévenir, elles nous arrachent des choix qu'on oserait imaginer. Dans un seconde temps, car elle avait totalement peur de ses émotions. Elle avait peur de se laisser aller et que cela lui porte préjudice. Elle avait peur que ses émotions la rendent faible et l'arrache au sol auquel elle s'accrochait. Dans un dernier temps, elle se rendait compte que certaines émotions pouvaient gouverner ses décisions. Elles pouvaient dicter des actes qu'elle regretterait de faire. Elles pouvaient anéantir des relations qu'elle avait pu établir. Et surtout, elles pouvaient anéantir des confiance qu'elle avait créé.

Et là, aujourd'hui c'était exactement ce qui lui arrivait. Aujourd'hui, son pire cauchemar se réalisait. En fait, c'était encore pire que son propre cauchemar. Pour elle, son cauchemar ressemblait à quelque chose, comme cela : elle laissait aller ses émotions, ses proches venaient vers elle, et soudain elle anéantissait tout ce qu'elle avait pu construire. La confiance disparaissait petit à petit. La confiance qu'elle avait créé s'étiolait petit à petit. Puis finalement, les proches disparaissaient au fur et à mesure. Et elle se retrouvait seule : seule dans sa tanière, seule devant ses réserves, seules devant les loups qui s'éloignaient d'elle. Et le cauchemar se terminait par sa mort. Elle mourrait seule. Et cela, c'était sa plus grande peur. Souffrir en silence et se retrouvait toute seule .. Toute seule alors qu'elle s'était construite un château autour d'elle. C'était ça son véritable cauchemar.

Mais aujourd'hui c'était différent. Aujourd'hui, son pouvoir l'inondait totalement, sans qu'elle ne comprenne réellement pourquoi. Elle avait le sentiment que ses pattes s'enfonçaient dans le sol sans qu'elle ne puisse faire grand-chose, que ses yeux s'enfonçaient dans ses orbites et que ses os se serraient les uns contre les autres. Elle avait même l'impression que son corps entier disparaissait. Son regard tomba sur les lavandes, et elle paniqua encore plus. Les lavandes avançaient sans qu'elle ne puisse les contrôler, elles devenaient de plus en plus grandes, tandis que les racines roulaient sous ses pattes. Comment était-ce possible ? Elle ne comprenait pas. Comment son pouvoir pouvait-il se déclencher de cette manière ? Alors qu'elle disait à tout le monde qu'elle le contrôlait parfaitement ? Elle ne comprenait plus rien ... Absolument plus rien.

Et là, une voix pénétra dans son esprit. Une voix qui se faisait plus douce qu'elle ne l'avait été. Elle lui expliquait ce qu'il se passait. Alors, elle faisait une crise de panique ? Mais c'était quoi exactement ce truc ? Elle n'en avait jamais fait de toute sa vie. Pourtant, il lui arrivait d'avoir peur, c'est certain. Mais jamais de cette manière. Alors pourquoi avait-elle peur à ce point-là ? Peut-être car les images qu'elle avait imaginé semblaient beaucoup plus dures qu'elle ne le pensait. Peut-être car imaginer ce loup carboniser toute sa meute la faisait trembler de tout son être ? Alors, elle ferma les yeux pendant de longues minutes et inspira longuement. Elle expira un bon moment. Et elle fit cela plusieurs fois. Doucement, son coeur se calma. Ses muscles se décrispèrent progressivement. Les lavandes disparurent. La Taiyou venait de la calmer, comme personne ne l'avait encore jamais fait. Elle rouvrit les yeux et les posa sur la louve, encore embués.

" Merci beaucoup .. Je ne sais vraiment pas ce qui m'a pris ... "

Et finalement, les paroles de la tricolore tombèrent. Elle avait totalement raison. Les pensées sont légitimes, mais encore une fois, elle avait jugé trop vite. Et elle a été franche beaucoup trop tôt. Alors, elle hocha la tête. Elle avait été sotte. Mais aujourd'hui, elle ne voulait plus l'être. Aujourd'hui, elle voulait en apprendre davantage. Aujourd'hui, elle voulait en savoir plus. Aujourd'hui, elle voulait changer d'optique sur le monde.

" Je vous remercie d'avoir été si franche avec moi. Malgré que ça m'ait terrifié, ça m'a fait énormément de bien. " Puis elle osa. " Accepteriez-vous de m'en apprendre davantage sur les dangers qui nous attendent ? "